Jean Desbouys était un vieil ami de mon père. Il habite en Provence, dans le Lubéron. Du temps de son activité, c’était un viticulteur aisé. À plus de 80 ans, il a cédé, depuis longtemps, à Gilbert et Brigitte, ses deux enfants restés au pays, les immenses propriétés : vignes, champs et bois, mas, mazets et bergeries, mais il est resté viticulteur dans l’âme. C’est sa passion, sa seule raison de vivre depuis que Berthe l’a quitté, l’an dernier.
Bien que la vie ait été plus que généreuse à son égard, Jean est un être d’une extrême simplicité. À le voir, on le croirait démuni, mais le regard est interrogé par son grand soin et la noblesse de son port. Il est en bonne santé et l’exercice continu de son métier l’a maintenu dans une forme encore honnête. C’est un bel homme, chenu certes, mais à la poignée de main restée ferme. Son regard étrange et pénétrant vient de ce qu’il a un œil noisette, l’autre lilas. Il est de ces vieux provençaux, élevés encore au patois (pas à celui qu’on enseigne à l’école) et passionné des Félibres. Il n’ignore rien de Mistral, de Roumanille ou de Reboul, dont « La Cuisinière Provençale » trône, depuis toujours, sur le buffet de la grande cuisine familiale. À ses heures, il aime s’installer sous les platanes de la cour, quand le soleil tiédit ses ardeurs, pour faire naître de son flûtiau, des airs de pastoureau.
Lorsque je le rencontre, il m’invite près du guéridon du salon. Lui s’est assis sur une chaise basse à l’assise empaillée, de celles que l’on usait autrefois pour s’asseoir dans l’âtre, au plus près du foyer. Il a le coude gauche appuyé sur le coffre à pain, bien campé, il m’a livré ce récit que je vous conte ici.
En ces jours d’août finissant, Jean descend à Apt en tracteur. Il s’agit de prendre livraison d’une remorque neuve. Il est très heureux de se rendre utile, et voir la propriété familiale s’enrichir d’un nouvel outil le remplit de joie. En avance, il décide d’aller en ville, boire un café avec ses amis au Pastre, un café sur le Cours. Diable ! C’est jour de marché, ils doivent tous être là. Avec tous ces touristes, il est bien difficile de trouver une place pour stationner, surtout que le gros tracteur est assez large. La patience, qualité très paysanne, mène à tout, et à force de chercher, Jean voit une voiture quitter le stationnement et s’apprête à prendre la place libérée. Pendant qu’il est sa manœuvre... Ah ! Boudiou ! Cette marche arrière qui ne passe pas, et que ça gratte... Ça y est... Il se retourne et voit une Beetle s’engager sans façon dans la place. Le cabriolet est immatriculé 75... La conductrice à l’arrêt parfait sa beauté d’un coup d’œil rapide dans son rétroviseur et sort du véhicule. C’est une belle jeune femme brune, aux vêtements ajustés qui soulignent son corps sculptural. Jean descend du tracteur et l’interpelle. « Madame, vous avez pris la seule place où je peux me garer ! ». Et elle le crucifie de son regard vert et lui répond : « On n’a pas idée, Monsieur, de se promener en ville avec un truc comme ça... Et puis (grand sourire), soyez galant, vous ne pouvez refuser cela à une dame, jeune et belle. ». Sur ce, elle tourne les talons, faisant sautiller son panier d’osier dans sa main droite.
Jean remonte sur son tracteur, enclenche la marche arrière... du premier coup ! et recule d’un bon train. Le crochet d’attelage, la prise de force s’encastrent bellement dans le trop tendre véhicule et transforment l’avant-gauche de la Volkswagen en confettis. La parisienne revient en courant et s’écrie, furieuse : « Mais vous ne pouviez pas faire attention avec votre engin de merde ? » Ce à quoi Jean répondit : « Madame, cet engin de merde est un outil, que l’on appelle un tracteur. Il sert, entre autres, à produire votre nourriture. Je ne puis rien vous refuser, vous me l’avez demandé si gentiment. Je vous laisse donc la place. Je voulais juste vous montrer ce que l’on peut se permettre, si l’on choisit d’être impoli, lorsque l’on est vieux et riche. Faites-moi un procès, j’aurais grand plaisir à vous revoir. » Il sort son portefeuille de la poche arrière de son pantalon de gros velours et lui tend une carte de visite. « Montez donc me voir à la ferme, nous ferons le constat devant un bon verre de Carthagène, ou un petit pastaga. Au revoir Madame. »
Sur ces mots, il remonte sur le tracteur, embraye, et part en arrachant le capot et une aile... Coup de chaleur en perspective...
Haha JB. Mon frère raconte une histoire semblable. Un de ses amis souhaitait se garer. Mais une jeune femme le coiffe au poteau et lui rétorque 'c'est ça, quand on est jeune et belle'. Le gars au sang chaud fonce et plie l'avant de la voiture et lui répond : ça, c'est quand on est vieux et con'. Cette histoire me fait bien Rigoler.
J'avais écrit cette nouvelle en 2007, et l'avais publiée sur mon premier compte LPDP d'alors.
Ce n'est que pure fiction. J'étais parti d'une situation approchante que m'avait narrée ma sœur dans les années 70. Ce doit être une de ces vieilles légendes urbaines survenue on ne sait où ni quand, mais qui se perpétue sous des formes diverses.
Tu as rigolé. Objectif atteint. Cette nouvelle se veut humoristique.
Les histoire de places de parking sont nombreuses, parfois on en arrive aux mains. c'est toujours stupide! Mais, c'est pas facile de gérer son énervement. En région parisienne je me garais toujours au bruit… (rire)
Cerdick, ton compliment me va droit au cœur. Cela fait bien longtemps que les avants de voiture sont en résine... Moi, de culture pastaga, suis passé sans problème à la culture du houblon. Qu'importe le flacon...
Yvon, à une époque on disait aussi au radar, mais la technologie a fait que le radar est devenu réalité. D'où nécessaire glissement sémantique.
Amanda, cherche fin limier ! Et fais-moi signe quand tu auras trouvé.
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