Je vais mourir lentement, pour être sur de profiter de chaque seconde de la délectable souffrance de savoir enfin que l'on est ici pour cet ultime instant et que le reste n'a finalement que peu d'importance. Après avoir trop longtemps parcouru les trottoirs les yeux fermés et les mains perdues dans des poches trop grandes, j'ai les pieds usés et le sourire fatigué du menteur qui n'a jamais réussi à poser sur son cœur trop frêle l'argile des masques sans ride. En plongeant corps et âme dans l'infini abîme de l'oubli de soi, les mots ont perdu toute signification; être moi n'est que l'illusion d'une image qui hante les sphères insondables de mon si triste imaginaire. Se rattacher à ce passé, le sublimer, le transformer, s'y accrocher désespérément pour jamais ne sombrer; faudra-t-il que je comprenne le sens du naufragé sur son île si déserte. Les insomnies de mes pensées n'auront sans doute jamais abouti à la réalisation de la divine comédie aux héros blafards qui a envahi le monde, qui a envahi mon monde. Ressassant sans cesse les silences sentencieux de ma science insuffisante, j'ai souri. Ah, que les sens sont faibles! Que nos mains sont hésitantes quand elles doivent saisir les beautés des nuits blanches! Pourtant le jeune enfant qui errait sous la lune n'aura-t-il jamais grandi pour mourir si seul entre des murs jaune gris? Que n'a-t-il agrippé les étoiles de son regard si fier, de sa bouche si douce? Peut-être aurait-il su parler aux autres qui ont parsemé les chemins de sa vie, peut-être aurait-il su rire de leurs jeux, comprendre leurs paroles et marcher à leur côté. Mais les lampadaires ne ne savent pas marcher, ils ne savent qu'éclairer quelques bribes de la route, ils ne sont pas les phares des naufragés. Moi j'ai laissé les néons briller là où ils étaient, je leur ai laissé la froide lueur de leur vie, je ne suis pas intéressé. J'aurais pris la plume pour conter sur ces murs la légende de nos échappées belles, j'aurais sans doute su te dire l'histoire de cette ville. Moi j'aime le soleil et la mer, j'aime la vie quand elle brûle, j'aime la névrose des gens égarés, le paysage qui défile dans les couloirs du métro, moi j'aime que les lumières vacillent, que le sommeil m'oublie, j'aime caresser la peau dorée de mes rêves, j'aime que les mots me comprennent, qu'ils sachent me dire que mes yeux sont marrons, moi j'aime les labyrinthes de mon Paris, le noir et le bleu et le rouge aussi. Si les souffrances existent dans cet univers, qu'est ce donc qu'être abîmé dans sa tête, qu'est ce donc de poursuivre à perdre vie des lanternes virevoltantes qui ignorent mes larmes, mes suppliques, mes prières étouffées? Qu'est ce donc de mourir un peu chaque fois que le monde tourne encore? Je saurais soudoyer le fossoyeur de ma tombe pour que le marbre soit plastique, que les fleurs soit fanées, pour que ma mort soit ma vie, ressemblance étrange d'un corps sans vie et d'un pantin de bois qu'avait perdu ses fils. Faudrait-il que je parle de ces cigarettes égrenées au quotidien, de ces ivresses imbéciles qui m'ont coûté mes rires? Faudrait-il que je me rappelle chaque moment des années qui se perdent, que je me rappelle le temps qui me fuit et les lèvres que j'ai aimées tendrement? Les désirs s'acharnent à corrompre ma chair si fragile mais les idéaux lacèrent mon être de leur implacable absolu. J'ai oublié d'ouvrir mes yeux sur ces décombres. J'entends au loin l'orgue de barbarie et Prévert qui se moquent des errances de l'enfance, mais dans ma chambre aussi traînent les débris des nuits agitées du garçon que je suis. |