J’étais descendue et m’étais postée là, en bas des marches, parce que j’avais froid et parce que c’était comme ça. Un peu aussi parce qu’il fallait pleurer, parfois. C’est alors que ce mec entra (le seul d’ailleurs qui avait daigné posé ses yeux sur moi) et me demanda : « Est-ce que ça va ? - Non. C’était un grand brun avec des lunettes d’intello. - T’as-tu des clopes ? »
Et je me retrouvai assise avec lui, au beau milieu de nulle part, une clope à la gueule et le silence aux lèvres. Lui attendait que je m’explique. Moi je n’avais pas l’intention de le faire. D’ailleurs même si j’avais voulu, je n’aurais rien trouvé à dire. Parce qu’il n’y avait rien à dire. Nous fumions donc, silencieusement, mais sûrement. « Tu connais Editors. (ça n’était pas une question, c’était un fait.) - I’ve got so much to tell you - … in so little time - Le contraire m’aurait déçu. »
Je ne sais pas combien de clope j’ai fumé ce soir là, mais je sais par contre que je n’ai jamais aussi bien fumé une cigarette parmi toutes celles que j’ai fumé dans ma vie, et ce n’est pas peu dire. Après la dernière, il rangea son briquet et son paquet, enfila son manteau et son mystère et je le suivis. De tout façon je n’avais rien d’autre à faire et nulle part où aller.
Après beaucoup de silence, il me demanda si je connaissais la nuit lorsqu’elle était libre et longue et belle. Je répondis que non, et il m’apprit. Je n’avais aucune idée de l’heure qu’il faisait là-bas et à vrai dire je m’en fichais un peu, puisque la lune était vierge et qu’il restait son histoire à écrire. C’est lui qui m’avait dit ça, ce soir-là.
On erra et puis il me montra un centre d’achat. Il y entra, suivi de moi. Il se trouva un coin tranquille et je l’imitai. Ce centre, j’aurais pu y passer la nuit. Il y avait des toilettes, des clopes et puis ce mec, avec moi. La seule chose qui me manquait c’était un crayon. Parce que j’aurais voulu écrire, mais je n’en trainais pas sur moi et lui non plus. Moi je m’étais enfuie trop vite. Lui je ne sais pas. N’empêche que ce soir-là, les mots me brûlaient et je ne pouvais les écrire. Il m’avait proposé d’aller en piquer un, mais je n’avais pas voulu. Et puis de toute façon, les boutiques étaient presque toutes fermées. Il devait bien être passé onze heures, peut-être même passé minuit. « T’es sûre que t’as vraiment envie d’écrire ? M’avait-il demandé. - Oui, certaine. » Il me passa un truc rectangulaire. Il disait qu’on pouvait écrire avec le bout d’une allumette. Moi je comprenais pas, alors j’ai écouté. À force de penser à où regarder et à comment me tenir, j’ai perdu le fil. Mais j’ai compris l’essentiel. Oui, j’ai compris ce soir-là que des mecs qui peuvent écrire avec des allumettes, ça ne se trouve pas à chaque coin de rue. Si ça se trouvait, c’était le seul de la Terre et il m’avait transmis son savoir comme gage de confiance, parce que j’étais l’élue. J’aimais bien croire à ces histoires.
« People are fragile things, you should know by now. - Be careful what you put them through - […] You’ll speak when you’re spoken to. »
C’était de la musique chantée, parlée, peu importe en autant que ça sorte de sa bouche à lui. Il s’alluma une clope et m’en offrit une. Je jetai mon vieux mégot sur le sol des toilettes, même si ça n’était pas propre, même si on était à l’intérieur et même s’il était interdit de fumer dans la bâtisse. À croire que l’infini nous appartenait.
« Tu vois les étoiles ? - Non, y a un plafond. - C’est pas qu’un petit plafond qui va nous empêcher de voir les étoiles, pas vrai ? - Je ne sais pas. Peut-être. - On pourrait lancer une pierre pour voir s’il se briserait. - De quoi ? - Le plafond. - Pourquoi tu voudrais briser le plafond ? - Ben pour voir les étoiles… »
Y avait pas une cendre par terre et pourtant on devait avoir fumé en une soirée ce que je fume en une année de cigarette. Les mégots aussi, ils disparaissaient. Comme si le plancher des toilettes tenait à effacer toute trace du passage de ces deux perdus trop habitués de se faire oublier. Et puis d’ailleurs, on était dans les toilettes des hommes ou des femmes ?
Il y a tant de lui ici. Tu sais de qui je parle Celui qui a la plus belle voix Et qui le sais même pas.
clara clara clara
(Là-haut l'absence entière et le bleu charbonnant.) Par le jour se levaient des géants tristes, un violon en carton-pâte sous le rêve. (Fernand O. -Le Soleil sous la mort)
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