Des émanations pestilentielles remontaient de la cale. Dès les premières marches, des relents de sueur, de sang caillé et d'urine prenaient à la gorge. La petite rate ne semblait pas en être incommodée. Elle glissa le long de l'échelle et longea la coque. Des esclaves éreintés, entassés comme du bétail, croupissaient dans leurs excréments. Leurs chaînes les empêchaient de s'allonger et ils somnolaient dans leur souffrance. Le rongeur en escalada plusieurs avant de s'arrêter sur l'un d'eux. Le pain qu'il tenait encore dans ses mains meurtries, n'avait pu être porté jusqu'à sa bouche. Accablé d'une grande détresse, l'homme ne pouvait plus s'alimenter d'un quignon. La rate grignotait entre ses doigts, sans le quitter des yeux. Puis, elle trottina prudemment jusqu'à son épaule. A la naissance de la nuque, elle s'approcha un peu plus et ne voyant toujours pas de réaction, se hissa sur sa barbe et, dans ses lèvres entrouvertes, y glissa miette par miette ce pain qu'elle avait réussi à traîner. Au début, l'esclave toussota avant de déglutir difficilement. Le lendemain soir, la rate lui apporta un morceau de saindoux. Chaque nuit, elle le nourrissait, le léchait et lavait ses plaies. Il l'attendait comme on attend une amie. Lorsqu'il s'assoupissait, elle rongeait inlassablement la chaîne qui entravait ses jambes. Pendant des semaines, elle tenta de briser le métal jusqu'à plus dent. Mais une nuit, à bout de force, la rate mourut à ses pieds. Le nègre la prit alors dans ses mains. Pour la première fois, il la touchait, la caressait. Si la douleur du fouet ne lui avait jamais arraché un cri, ni une larme, le chagrin le submergea. Quand, enfin, il sombra d'avoir trop pleuré, l'odeur de la mort faisait déjà partie de lui. La fée bleue.
Magnifique.Je ne peux pas en dire plus. Ce texte est horrible au début, tellement il est malheureusement vrai. Les rats sont plus humains que certains hommes. Nominations, et toutes mes félicitations.
Il faut avoir vecu le pire pour connaitre le meilleur
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