Il fait chaud, lourd, vibrant… La plaine d’Alsace, endormie sous le soleil d’août, n’en finit plus d’étouffer. Allongé dans les joncs, près du Canal du Rhin, j’entends le ronron pénétrant des pousseurs hollandais ou suisses, crevant l’onde plane en vagues circonflexes. Que du normal, du simple, du rassurant. Rien ne bouge ! Dans cet état d’assoupissement salvateur, des senteurs de cuisine d’ailleurs viennent taquiner mes narines tétanisées par la platitude de ma pitance du jour, à savoir : concombres crus, pain, jambon - sans beurre, et canette chambrée à 32° C. « Que sens-je, que vais-je goûter », me dis-je ?
Mais non, le frichti inquiétant quelque part se concocte sans que j’aie reçu la moindre invitation. À l’image du renard de la fable, je m’approche de la source des délices, non sans me tremper quelque peu les genoux et les coudes dans ma quête en tapinois. Diable, mais c’est une colonie que je découvre, qui campe, qui cuisine, qui n’est pas d’ici, qui est immatriculée Milano, Torino, Napoli, Ragusa et tutti quanti. Ah ! Que nenni ! Il ne sera pas dit, que je quitterai ce lieu sans savoir de quelle magie cette tambouille relève.
De souvenirs de vacances transalpines, je gardais en mémoire des plats pour touristes, des bolognese falsifiées aux Tiramisu d’occasion. Mais là, devant moi, sous mon nez épaté, s’étalait la promesse de la succulence même, faite pâtes. Car je les voyais de mon poste d’affût les spaghetti prêts à sauter dans le bouillonnement humidificateur. Une matrone, à califourchon sur un tabouret de toile trop étroit pour son ample séant, maltraitait au rouleau à pâtisserie de la mie de pain rassis, destination panure. Un minuscule décrépi écrabouillait des anchois à l’huile dans une large poêle où de dodues gousses d’ail se prélassaient, très motivées. Un petit, tout petit – neuf ans à peine, s’exerçait à hacher menu menu du persil qui finit dans le voisinage de l’alliacée. Sa sœur, ou sa cousine, toute proche, se râpait les doigts en même temps que du pecorino. C’était à croquer ! Tout à coup, voila que la panure est jetée dans une autre poêle où s’échauffe une huile d’olive extra vierge, conférant à l’œuvre collective une soudaine odeur de biscuit doré. J’étais tout près de craquer !
Il était écrit que ma douleur ne s’arrêterait pas là. Sous l’effet d’une brusque alchimie, tous les ingrédients se retrouvèrent en belle mêlée saupoudrée de râpé, avec, tout autour, quinze arbitres affairés à s’asseoir pendant qu’il était temps, la pasta al dente ne supportant pas de délai d’attente. Je voyais bien les nez pointés vers le plat de service : image donnant plus de texture à ma frustration « spaghétifiée »… Soudain, un des quinze se lève précipitamment, dirige ses pas vers la glacière, antre des délices où repose, en mon imagination gourmande, je ne sais quelle cassate. Mais non, cela est moins subtil et c’est en quête de bière que le brun sicilien s’égayait. Mais de bière, point ! (Et là, je traduis). - Il n’y a plus de bière ?! Et comment je vais les manger, moi, les spaghetti aux anchois et à la mie de pain, s’écria-t-il ? - Bois donc comme tout le monde de cet excellent Cerasuolo di Vittoria ! fut la répartie unanime de la cohorte latine.
Mais non ! L’autre, très alsacien par sa détermination, aussi bien que par l’affirmation de ses goûts, ne voulait que de la bière car il était sacrilège, disait-il, de boire du rouge avec du poisson, référence faite, sans doute, à la présence de quelque anchois dans le plat. Le nom de ce mets me revenait encore à l’oreille : spaghetti, anchois, mie de pain… Et moi, j’avais la bière salvatrice. Je sors de ma planque, canette de Kro 33cl à la main, et la propose, débonnaire, arguant que cela valait mieux que rien. L’italien est partageur et je me retrouvai dare-dare face à une assiette copieusement garnie de pâtes étonnamment croustillantes, entouré de bons vivants, un verre d’un excellent vin de Sicile à fleur des lèvres.
Je me promis, en cet instant béni, de ne plus jamais sortir sans bière.
Gerstheim, août 2006
Bolognese, sauce bolognaise Spaghetti, des spaghettis si vous préférez Pasta al dente, pâtes cuites à point (sinon c'est la mort du rital) Cerasuolo di Vittoria, excellent vin rouge corsé, de la région de Raguse.
Le titre m'a fait peur.... Merci Ma Kro N !!! Ouff, la suite est meilleure... Donc,JB, si "quelque part" ça chauffe dans les chaumières....chez toi, c'est la tambouille à l'air ! C'est inhumain, 23h38 tu m'as mis l'eau à la bouche avec tes spaghettis à la bolognaise....je m'y suis cru tant l'odeur me parvenait aux narines derrière mon écran. Malheureusement pour moi, je n'ai pas de Kro, donc, je n'ai eu droit à rien ! Je suis restée sur mes crocs Bisous pique assiette! Se vieni qui mangeremo la pasta !
Les mots sont à la pensée ce que l'eau est à la terre: la vie!
J'ai tellement adoré la lecture de ton texte que dare-dare j'ai préparé des penne rigate sauce arabiata... et (fait rare) une bière pour les accompagner...
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