« Bien sûr, ce n'est pas la Seine, Ce n'est pas le bois de Vincennes, Mais c'est bien joli tout de même » (Barbara)
Devant la maison, il y avait beaucoup de place pour les fleurs, les lilas, buddleia et grandes tiges de roses trémières. Un passage sur le côté nous servait de terrain de boules ; que de bonnes parties en famille quand l´un des sept frères et sœurs de maman passaient le week-end à la maison, avec nos cousins cousines !
Sur cette bande de terrain il y avait deux magnifiques cerisiers, on avait vite appris à y grimper, on pouvait y faire concurrence à Crocro. Crocro était un petit corbeau que Lalou avait trouvé, sans doute perdu par sa maman, dans un bois près des marais. On avait réussi à le nourrir avec un peu de pain trempé dans du lait et du jaune d´œuf. Au début il était resté une semaine dans le sous-sol, puis papa avait craqué: Crocro avait couvert la grosse mobylette bleue de fientes. Une fois mis dehors, Crocro revenait toujours dans le jardin, et même quelques fois se nourrir dans la cuisine. On l´aimait notre Crocro apprivoisé, même Gribouille, la chatte de la maison, le laissait tranquille. Elle avait assez à faire avec nous, ses petits chatons et Pan pan notre lapin gris-bleu. Il arrivait que parfois, quand maman montait la rue pour aller faire les courses, elle entende un flop flop gracieux, et que Crocro vienne se poser sur ses épaules. C'était drôle, mais n'avait pas trop apprécié de devenir la "femme au corbeau", plusieurs fois elle fut bien obligée de le chasser. Plus souvent il se perchait dans les cerisiers et sur les toits alentours.
Derrière la maison, le jardin s´agrandissait, quelques rocailles, pour les fleurs, un petit potager, beaucoup de pelouse, des noisetiers, un pommier, trois cerisiers sauvages près du portique. Les printemps y étaient magnifiques. Benjamin et moi on était agiles, dans les arbres comme sur le portique, trapèze et la balançoire. Au fond du jardin, un emplacement était réservé pour faire du feu au milieu d´un cercle de pierres. On y a fait de belles flambées, on aimait particulièrement y faire cuire des patates sous la cendre, c'était un délice.
Après les explorations du jardin, les grands nous avait fait découvrir le Val d´or. Au bout de l´impasse du même nom, il y avait les jardins des maraîchers, et un passage, avec le panneau, "propriété privé, défense d’entrer". Comme il n’y venait jamais personne à part nous, que la végétation y était sauvage et en friche, que les grands tout imprégnés de l’année mille neuf cent soixante huit, nous avaient affirmé "il est interdit d´interdire" on se l´était accaparé le Val d'or.
La première partie assez accessible et sèche était une sorte de savane durant l'hiver. Au printemps un fouillis d'arbustes devenus bien plus hauts que nous. Un passage obligé à travers un bois assez dense, et l´on arrivait à l'étang. C’était un endroit plein de vie et de surprises, sur les côtés de la mare une zone très humide à traverser un passage beaucoup plus risqué. Il y avait une manière de marcher, poser les pieds délicatement, en quelque sorte tâter le terrain, éventuellement marcher sur des branches au sol. Plusieurs fois il nous était arrivé de nous y enfoncer jusqu'à la cheville, quand on retirait le pied une odeur épouvantable s'en échappait. L’étang grouillait de vie, têtards ou grenouilles, dytiques, ragondins, échassiers, selon les saisons, de magnifiques roseaux, chardons, des nénuphars et belles plantes aquatiques, lys des marais. C’était notre sortie préférée du weekend, après la sortie piscine, ou les visites chez les grands-parents.
Papa nous avait réquisitionnés pour aller faire du ménage dans le grenier du grand-père. Il habitait une charmante maison près du centre de Reims, je me souviens de sa belle façade en pierre meulière. Un jardin à l'arrière de la maison avec un enclos pour les poules, on adorait leur lancer des escargots et voir comment elles se jetaient dessus. Au fond du jardin les clapiers à lapins, trop mignons ces petites bêtes ! Grand-père nous avait raconté que pendant la guerre ils étaient bien contents d'avoir ce petit élevage, mais un prédateur était venu tuer ses lapins plusieurs fois de suite. Il avait alors piégé les alentours. Il fut étonné d'y prendre un gros chat redevenu sauvage. Le chat est passé à la casserole, Il avait le gout du lapin. Dans la maison, grand-mère avait toujours quelque chose à nous raconter, elle n'avait jamais perdu son accent de Toulouse. Elle racontait comment elle avait appris à nager dans la Garonne, elle la descendante de "Don gaspard de Portola". Puis elle était devenue marraine de guerre. C'est comme ça qu'elle avait fait connaissance avec grand-père qui avait eu la vie rude.
Né en Angleterre de Marks, un papa fraîchement débarqué d’Afrique du sud et de Kate, une maman polonaise. Les arrières-grands-parents s’étant séparés, la maman était venue en France avec ses enfants. Elle avait dû abandonner grand-père dans un orphelinat, vers l’âge de 10 ans. Grand-père avait été placé dans plusieurs familles d'accueil, puis embauché comme garçon de ferme, par la suite était devenu bouilleur de cru. En 1914 il s'était enrôlé dans l'armée, avait été embarqué pour se battre en Crimée. Là- bas ça avait été terrible, il avait reçu plusieurs fois l'extrême onction, il avait été gazé dans les tranchées, avait eu les oreilles gelées et attrapé le paludisme. Après la guerre ils s'étaient mariés et avaient vécu comme militaires en Allemagne alors occupée par les français. Par la suite, grand-père a eu plusieurs métiers, il a été bijoutier et photographe.
Lors du rangement du grenier très encombré, on avait retrouvé un grand carton rempli de billets de millions de Deutsch Mark. Ils ne valaient plus rien, c'était des souvenirs de la terrible dévaluation allemande, il fallait une liasse de billet pour une baguette de pain, les billets étaient imprimés sur du papier journal. Je me souviens aussi de nombreuses lettres et cartes postales écrites au stylo plume d'une belle écriture avec plein et délié.
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